Le
cadavre est celui d’une fillette. Le corps est allongé sur le dos
en lisière d’une haie de hautes herbes coupantes comme des lames
de rasoir aux feuilles lancéolées. De l’autre côté de cette
végétation touffue, coulent les eaux troubles du Rio Tocantins,
impatientes de se mêler à celles de l’Amazone à Belém pour se
noyer d’épuisement dans l’Atlantique.
Il
n’y a pas un souffle d’air. La chaleur est déjà accablante de
regrets.
Il
est neuf heures et nous sommes mardi.
Au
loin, des fous de Dieu hurlent dans un temple évangélique d’une
vulgarité de verre et d’acier étonnante. De plus loin encore
arrive le tintement des cloches de l’église São Francisco.
Il
y a des bestioles et des gens partout. Essentiellement des femmes,
des gosses et des vieillards déjà ivres. Un chien errant efflanqué
vient renifler l’enfant morte. Je le chasse d’un coup de pied et
je m’adresse aux flics à la cantonade :
— Pourriez
me virer tous ces connards ?
Plusieurs
d’entre eux prennent des photos avec leurs cellulaires. Les
policiers les bousculent sans ménagement, mais des gosses
réussissent à se faufiler tout près de la morte. Je balance deux
ou trois taloches. Finalement, un des agents sort son flingue et tire
en l’air. Les gens s’éloignent enfin. En récriminant comme
s’ils allaient demander un quelconque remboursement, étant venus à
un spectacle n’ayant pas tenu toutes ses promesses.
La
chaleur est maintenant suffocante. Il n’a pas plu depuis trois
semaines. Le fleuve est à son plus bas. Les femmes sont debout les
jambes écartées pour que leurs cuisses ne restent pas collées par
l’âcre sueur. Quand elles sont assises, pour l’homme, détourner
le regard est une seconde nature.
Au
premier abord, on a l’impression que le bras gauche est dissimulé
sous la végétation. Non. Il manque. Il a été coupé. Ou plutôt
découpé. Et le membre n’est pas dans le secteur.
Ni
la tête d’ailleurs.
On
voit bien qu’il s’agit d’une fillette à la taille de ce qui
reste. Et puis parce que j’ai sa photo.
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